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7 mai 1922 (finale)

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Impressions d’ensemble :

          Ce fut une journée splendide. Près de 25.000 spectateurs constituant une foule ardente et vibrante, se sont rendus, hier, au Stade Pershing pour assister au choc des deux finalistes de la Coupe de France. Jamais un match entre équipes de clubs n’attira en France tant de fervents autour des touches. La Coupe de France est désormais consacrée. Son succès ira toujours grandissant. Le football français, récompensé et encouragé dans ses clubs, va produire un nouvel essor qu’on pourra sans nul doute apprécier dès la saison prochaine. Ce sont les engagés qui seront plus nombreux, ce sont les spectateurs qui suivront avec plus d’intérêt les épisodes successifs de cette mue sévère et palpitante qui aboutit à pareille apothéose.

            A aucun moment la partie ne languit. Commencée très vite, elle soutint ce train pendant toute la première mi-temps. Le Red Star débuta à toute allure, espérant écœurer ainsi son adversaire qui reçut très bien le choc et répliqua avec le même allant. Il n’est pas exagéré de dire que le public était haletant. A tout instant, montaient de tous les coins du vaste stade, des clameurs dont on ne saurait dire si elles glorifiaient les Rennais ou les Parisiens, si elles signalaient les fautes imaginaires ou réelles, ou si elles blâmaient ou félicitaient l’arbitre.

            Il semble cependant que Rennes eut, comme à ses précédentes visites, la faveur de la majorité des spectateurs. Et je ne jurerais pas qu’au fond beaucoup de gens n’aient souhaité de voir se classer au tout premier rang ce club qui, en septembre dernier, n’était guère considéré que comme un vague outsider.

            Le Red Star s’assura un but au bout d’un quart d’heure de jeu dans des circonstances assez heureuses, puisqu’il le réussit à la suite d’un coup franc insuffisamment paré. Mais il domina, plutôt cette mi-temps. Et lorsque le half-time fut sifflé sur le score de 1 à 0 en sa faveur, l’impression générale était que par la suite, ce score s’améliorerait encore. Les Rennais n’avaient certes pas été surclassé : mais leur attaque montrait moins de cohésion et de perçant que celle des champions de Paris.

            Or, à la reprise, la physionomie changea quelque peu. Le Red Star ralentit son action et sembla jouer sur son avance. C’était dangereux avec des adversaires aussi décidés que les Bretons : car ceux-ci donnèrent alors en plein et imposèrent leur jeu pendant environ une demi-heure. Plusieurs fois, l’on crut qu’ils allaient égaliser : des clameurs de déception accueillirent un shot sur le poteau de Chayrigues et le rebondissement du ballon sur la barre transversale. Certes les Rennais eurent alors quelque déveine. Puis le Red Star conduisit les échappées fort dangereuses et ce fut lui qui marqua sur une descente rapide de son ailier droit qui centra fort bien ; la balle fut reprise par l’ailier gauche qui réalisa le deuxième but, enterrant ainsi tous les espoirs rennais.

            La surprise annoncée dans la composition de l’équipe du Red Star constituait en ceci : Loyaut joua avant-centre et Nicolas inter-droit. Bonnardel prit la place demi centre et Thédié celle de demi gauche. A modifier ainsi son équipe le Red Star ne risquait pas grand-chose. Joyaut est aussi bien un avant qu’un demi centre, plus peut-être. Bonnardel a autant de dispositions pour la place de pilier que pour celle d’ailier. Et Thédié possède des qualités reconnues depuis longtemps. L’important pour le Red Star était de renforcer son attaque : la présence de Joyaut dans la ligne d’avants visait à ce résultat. Et comme Thédié tint convenablement sa place, la formule s’avéra heureuse.

            Dans la seconde mi-temps, Nicolas revint au centre et Joyaut passa inter droit. Les procédés de l’attaque redstarienne changèrent de ce fait. Au début elle se fit, en effet, très pressante par le centre et les ailiers furent assez rarement servis. Lorsqu’au contraire Nicolas fut le distributeur de la ligne, il réalisa beaucoup plus de mouvement et d’imprévu en lançant ses ailiers par des services longs et précis qui sont sa spécialité et qui disséminent les défenseurs adverses.

            Le Stade Rennais, lui, ne varia pas de méthode. Il organisa simplement un peu mieux en seconde mi-temps celle qu’il avait adoptée en première. Il joua surtout par ses ailes. On avait l’impression que Caballero était là pour recueillir le fruit du travail accompli par l’inter et l’extrême de chaque aile opérant de concert et pour conduire des actions personnelles, adroites et vigoureuses, qui n’avaient d’ailleurs guère de chance de réussir en face d’une défense en forme comme celle du Red Star.

            La partie fut jouée très correctement. Et si l’arbitre M. Gérardin dut intervenir à plusieurs reprises pour sermonner quelques joueurs, voire pour en expulser deux, Marion et Scoones, on ne peut pas dire qu’il y eut de la part des combattants du truquage, de la déloyauté, et de la brutalité. La partie ne fut pas non plus heurtée et saccadée ainsi que cela se produit généralement dans ces sortes de rencontres où l’importance du résultat fait négliger aux joueurs le souci du jeu. Sans être d’une pureté remarquable, celui-ci fut toujours plaisant.

 

Comment ils ont joué :

            Chayriguès fut moins fréquemment à l’’ouvrage que son collègue rennais. Il fut sérieusement surveillé par la trilette du centre adverse qui tenta souvent de le mettre en défaut lorsqu’il avait la balle. Il montra une grande sûreté, comme d’habitude. Mais il est évident que sa maitrise n’est plus aussi grande et qu’il ne contrôle plus aussi bien le ballon que jadis.

            Meyer et Gamblin se conjuguèrent excellemment. Les rares petites fautes qu’ils commirent furent sur le champ rachetées avec beaucoup de présence d’esprit. L’expérience de Gamblin fut en particulier précieuse en face des initiatives individuelles des avants bretons.

            Bonnardel fut excellent comme demi-centre. Il eut un blocage parfait du ballon et un service aux avants qui éclipsa celui de Hugues. Il fit là certainement une de ses plus belles parties de la saison. Marion a confirmé les progrès qu’on a constatés chez lui cette saison. Mais il aurait dû surveiller d’un peu plus près Delalande qui fut souvent dangereux. Thédié se montra souple, adroit et rapide.

            Nicolas fut le meilleur avant. Lorsqu’il joua inter il fit preuve d’une remarquable activité. Au centre il fut très scientifique. Joyaut et Naudin jouèrent dans leur forme habituelle ; le premier fut parfois un peu lent, le second hésitait devant les buts. Sentubéry fut nettement inférieur à Cordon qui est un joueur de grand avenir, très rapide et centrant bien.   

            A Rennes, Berthelot fut à l’ouvrage en première mi-temps. Ce gardien a de belles qualités, mais il donne l’impression de ne pas être très sûr de la balle qu’il reçoit du bout de des doigts et dont il ne juge pas toujours très bien le rebond. Dans l’ensemble, il fut cependant très convenable.

            La défense, souvent harcelée, se montra à hauteur de la tâche. Elle est solide et décidée et plus mobile que je ne pensais. Elle fut cependant moins homogène que celle du Red Star. Molles et Lenoble se valurent sensiblement.

            Hugues fournit un travail considérable, mais moins heureux que celui de Bonnardel. Il est vrai qu’il avait affaire à plus fort partie. Sa défense fut meilleure que son attaque. Trop de ses passes allèrent en effet sous les pieds des adversaires, surtout quand il tentait l’ouverture aux ailiers.

            Après une première mi-temps assez terne, Scoones se racheta dans la suite. P. Gastiger, infatigable et consciencieux, fut le meilleur de la ligne en attaque. Mais en plusieurs circonstances son manque de vitesse se fit sentir. Souvent il y eut un peu trop de vide entre les demis et les avants rennais.           

            Delalande fut le meilleur de ceux-ci, et aussi le meilleur ailier sur le terrain, du moins quant à la précision des centres. Marc s’entendit fort bien avec lui et eut des instants très brillants. Caballero fut personnel et étroitement marqué. M. Gastinger constitua avec Bourdin une aile droite moins bonne que la gauche. Son action fut moins constante, quoique parfois dangereuse. Le début de la partie de Bourdin fut prometteur. Mais par la suite il faiblit un peu et se heurta invariablement à Gamblin.

            L’arbitrage de M. Gérardin n’eut pas le don de contenter tout le monde. Mais il y a peut-être à cela des raisons que nous examinerons demain. – Maurice Pefferkorn

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Ce que fut la partie :

            Quelques minutes avant trois heures le Stade Rennais pénètre sur le terrain, Hugues en tête. Les « rouge parements noirs » sont vigoureusement applaudis.

            Puis viennent les « marine et blanc » précédés par Lucien Gamblin. Les applaudissements sont également nourris.

            Les équipes sont ainsi composées :

            Stade Rennais. – But : Berthelot ;  Arrières :Molles, Lenoble ; Demis : P. Gastiger, Hugues (cap.), Scoones ; Avants : Bourdin, M. Gastiger, Caballero, Marc, Delalande.

            Red Star Club. – But : Chayriguès ; Arrières : Meyer, Gamblin (cap.) ; Demis : Marion, Bonnardel, Thédié ; Avants : Cordon, Nicolas, Joyaut, Naudin, Sentubery.

            Le Red Star a donc modifié ses lignes. Sa tactique a consisté à renforcer sa ligne offensive en y introduisant Joyaut, de façon à ne laisser aucun répit à Hugues fortement occupé par les trois hommes du centre.

                        A Nicolas le premier but

            Le coup d’envoi est sifflé par M. Gérardin, à 15 heures précises. Presque dès le début le Red Star obtient un corner. Marion le donne, Joyaut reprend d’un splendide coup de pied retourné. Le ballon frise le poteau. Berthelot, en essayant de l’atteindre, heurte le poteau et se blesse.

            Puis de belles attaques s’amorcent de part et d’autre. L’une d’elles est conduite par Cordon qui file le long de la touche et qui centre. Nicolas reprend de volée et son shot éclair ne laisse aucune chance à Berthelot, d’autant plus que celui-ci est légèrement masqué par Lenoble.

            Ce but du Red Star est obtenu à la treizième minute de jeu.

            Rennes ne se décourage nullement. Une attaque sérieuse de Bourdin est arrêtée par Bonnardel.

                        A la mi-temps, le Red Star mène : 1/0

            Le jeu se poursuit assez égal. Toutefois le Red Star pratique un football plus net, plus précis. Sentubery s’échappe et centre. Joyaut reprend en bonne position. Il hésite et botte à côté.

            C’est au tour de Delalande d’effectuer quelques descentes dangereuses. Nicolas, touché au genou, quitte le terrain quelques minutes. Joyaut et Cordon se montrent menaçants. Un corner concédé au Red Star permet à Berthelot de se distinguer. Il dégage au poing au milieu d’un groupe de joueurs.

            Bourdin attaque. Il dribble puis se rabat. Son shot oblige Chayriguès à plonger et à mettre en corner. Sur ce corner Caballero commet une faute ; coup franc pour le Red Star. Les dernières minutes de la première mi-temps sont à l’avantage des tenants. Les Rennais sont fortement pressés mais les shots rencontrent toujours à point une jambe des gars bretons.   La mi-temps est sifflée alors que le Red Star mène par un but à zéro.

 

                        Pendant la pause

            Les joueurs rentrent au vestiaire ruisselants de sueur. Ils sont acclamés à parts égales. Le Red Star est confiant. Le Stade Rennais est fermement décidé à égaliser si faire se peut.

 

                        DEUXIEME MI-TEMPS TERNE

 

            A 15 heures moins cinq minutes, le jeu reprend. Berthelot pressé, lâche le ballon. Puis Caballero exerce quelques attaques, mais il lance son ballon trop en avant et est aisément bottelé.

            Ce jeu est assez terne. Les joueurs paraissent fatigués par leurs efforts de la première mi-temps et ne jouent que par à-coups. A noter un shot de Joyaut que Berthelot pare en plongeant. Gamblin est à l’ouvrage. Il arrête trois fois d’une façon superbe. M. Gastiger place un shot splendide. Le poteau le pare. Chayriguès est pressé. Il arrête, esquive, feinte, dégage.

            Meyer charge Caballero. Un coup franc est accordé à Rennes. Puis Nicolas se sauve. Il termine son effort par un shot très fort, mais à côté. Quelques secondes plus tard, il passe le ballon à Joyaut qui est seul. Ce dernier botte à côté.

            Bonnarde qui va passer à ses avants est fauché par Scoones. Marion s’approche d’un air menaçant. Le vieil anglais de Rennes et le puissant Marion sont sortis du terrain.

                        Sentubéry obtient un but trois minutes avant la fin

            Les dernières minutes de la partie arrivent. On a l’impression qu’aucun but ne sera plus marqué, lorsqu’une ouverture de Bonnardel à Cordon permet à ce dernier de descendre rapidement. Il se rabat légèrement et centre. Le ballon passe au-dessus de Berthelot. Sentubery arrive à point, le « cueille » avec la tête et ajoute un second but au score du Red Star. Et c’est la fin.

                        La remise de la Coupe

            Les joueurs, autant rennais que parisiens, sont portés en triomphe par le public. Le « onze » du Red Star s’approche de la tribune officielle. La coupe est remise à Lucien Gamblin tandis que Hugues vient dans un geste fraternel et éminemment sportif, donner l’accolade au capitaine de l’équipe avec laquelle il gagna la Coupe l’an dernier.

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                                                                                                                                 L’Écho des sports du 8 mai 1922, pages 1 et 2

Equipe du Red Star avant la finale de la Coupe de France, Debout : le manager du team Kaltenbach, puis Marion, Gamblin (cap.), Chayriguès, Joyaut, Bonnardel, Meyer ; à genoux : Cordon, Thédié, Nicolas, Naudin, Sentubéry.

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